C’est en décembre 1998 que les services éducatifs de Télé-Québec me recrute comme chargé de projet de ce qui allait devenir le Carrefour éducation. Le mandat: mettre sur pied un site Web destiné aux enseignantes et enseignants du Québec. Comme mandat, avouons que c’était assez mince. J’ai donc commencé par des consultations sur le terrain auprès de conseillers pédagogiques et d’enseignants. À la suite de cet exercice, il m’est apparu évident que le besoin se trouvait au niveau de la recension de ressources Web de qualité, valables et pertinentes, pour l’apprentissage en contexte francophone québécois. Au printemps, on recrute une deuxième personne, Patrice Prud’homme, nous serons deux pour faire fonctionner Carrefour. En début 2000, Julie Beaupré se joint à l’équipe pour constituer le premier trio de Carrefour. C’est donc à trois que nous avons peaufiné le mandat du site et que nous avons élaboré sa vision, entre nous, on disait la « philosophie Carrefour ». Une vision que nous avons pris soin de communiquer à nos successeurs respectifs.
La « philosophie Carrefour » et son mandat
On trouve dans l’À propos du site actuel, un bon résumé du mandat :
« (Carrefour) … développe et assure la pérennité d’un service de collecte, de validation et de diffusion de ressources éducatives sur Internet. »
On notera qu’il n’est pas question de « créer » du contenu, mais de faire la collecte de ce qui existe et surtout d’en valider la pertinence. Carrefour a toujours évité de recréer ce qui existait déjà. C’est pourquoi, il a vite été reconnu comme un allié indispensable pour tous les créateurs de contenus pédagogiques numérisés. Tout cela est aussi bien expliqué sur le site actuel :
- Faire rayonner les efforts de partenaires parmi les plus dynamiques et novateurs en présentant en un seul et même lieu leurs ressources éducatives;
- Éviter la duplication des efforts dans le milieu scolaire en offrant un accès national, gratuit et centralisé aux meilleures ressources disponibles sur Internet.
Les clés du succès
Vingt-deux ans d’existence pour un site Web éducatif au Québec, c’est un exploit. Il y a des raisons à cette longévité.
Ne pas dévier du mandat
Pour durer, il fallait éviter de se disperser. On a souvent proposé à Carrefour de diversifier son offre, de faire du nuage, d’offrir des adresses courriels, de produire du contenu, etc. La réponse était toujours la même : « avec les ressources financières actuelles, on ne peut ajouter de nouvelles tâches à l’équipe sans compromettre notre mandat. »
Un financement adéquat et surtout récurrent
Si autant de sites éducatifs n’ont pas survécu, c’est très souvent parce que le financement manquait. Carrefour a eu la chance de bénéficier d’un financement régulier, année après année, de la part du Ministère de l’Éducation. Financement régulier, mais toujours au même niveau, il a fallu apprendre à faire autant avec moins.
Une équipe issue de l’éducation en prise sur le concret
Pour répondre aux besoins des enseignantes et enseignants, il faut les connaître et surtout avoir l’intuition des problèmes qu’ils rencontrent. Les « employés » de Carrefour avaient tous une expérience concrète de l’enseignement. Cette exigence a permis de coller aux réalités du système scolaire québécois.
S’appuyer sur des pigistes-enseignants
Il est évident que 2 ou 3 personnes ne pouvaient suffire à produire tout le contenu de Carrefour éducation, sans compter qu’il fallait couvrir les besoins de tous les niveaux et de toutes les disciplines. Pour y pallier, Carrefour a opté pour des pigistes-enseignants pour évaluer les ressources proposées. Toutes et tous étaient donc très près des besoins. Dès le départ, il a été convenu de les rémunérer, car le bénévolat n’offrait pas de garantie suffisante concernant la régularité des évaluations et des mises à jour. On ne l’a jamais regretté.
Se faire connaître par tous les moyens
Quand j’ai demandé, la première année, un budget publicitaire pour Carrefour, on m’a regardé d’un drôle d’air. L’accès au site étant gratuit, on croyait qu’il n’avait pas besoin de publicité. J’ai expliqué qu’une chose gratuite qui n’est pas connue, reste inutilisée. C’est ainsi que Carrefour a mis de la publicité dans plusieurs médias éducatifs, a collaboré très tôt dans son histoire avec Infobourg/École branchée et a participé à plusieurs ateliers en formation des maîtres où, nous disait-on, qu’on apprenait en 60 minutes davantage à exploiter le numérique que dans tout un baccalauréat.
Nous avons participé à la plupart des grands colloques du monde scolaire en y présentant des dizaines (centaines?) d’ateliers et où nous avons recueilli, un à un, tous les précieux noms des enseignants intéressés par notre infolettre (liste précieuse qu’on a maintes fois offerts de nous monnayer pour s’en emparer.) Carrefour a été un fidèle de l’AQUOPS.
Quand les médias sociaux ont pris leur envol en milieu scolaire, l’équipe de Carrefour s’est assuré d’une présence constante, autant sur Facebook et Twitter. Les médias sociaux devenant ainsi une courroie de transmission pour le site de Carrefour.
De l’enthousiasme à revendre
Tous ceux qui ont côtoyé les artisans de Carrefour savent que personne n’était blasé et que tous étaient enthousiastes à l’idée d’aider les enseignants à maîtriser et utiliser les ressources pédagogiques offertes par la numération et la diffusion via Internet. Ils ont accompagné plusieurs groupes et projets dont le RECIT dans leurs efforts de diffusion.
Le futur…
Carrefour éducation n’est plus, c’est un triste constat. Ses ressources (du moins une partie) seront intégrées dans l’École ouverte. Je ne crois pas qu’elle pourra et saura assurer une veille aussi méticuleuse que Carrefour faisait. On me dit que ses ressources y sont indexées selon la norme MARC 21, issue de la norme de classification de la Bibliothèque du Congrès américain. Une norme faite pour des bibliothèques. Malgré ses grandes qualités, je ne suis pas certain qu’on puisse y faire entrer facilement la diversité des ressources proposées par Carrefour. L’indexation des contenus, à l’aide d’une nomenclature collée aux programmes scolaires du Québec et adaptée aux ressources des nombreux partenaires de Carrefour, a toujours été une de nos plus grandes préoccupations. Tout y était classé, dans un outil de recherche conçu pour les enseignants d’ici.
Oublions toute la présence auprès des multiples fournisseurs de contenus, la veille numérique constante, les multiples ateliers pédagogiques, etc. que Carrefour assumait. Oublions tous les cadavres d’hyperliens qui parsèmeront la toile éducative de la francophonie dès la prochaine rentrée: les chroniques, les recherches “préfaites”, les ressources classées pour le TBI… bref, tout ce qui faisait office de référence et qui était inclus dans les favoris des enseignants.
Les clés du succès énumérées précédemment sont difficiles à réunir dans un milieu ministériel, nécessairement moins agile que ne l’était Carrefour. Il n’y a qu’à penser à LogicielsÉducatifs.qc.ca qui a fermé ses portes au moment où des sommes importantes étaient dédiées à l’achat de ressources numériques dans les écoles.
Désolé de mon manque d’enthousiasme,
André Cotte
Premier chargé de projet de Carrefour éducation
Note : ce texte est partagé sous une licence Creative Commons